Pour beaucoup de philatélistes, le process de création et de fabrication
d’un timbre est quelque chose d’assez flou. De nombreux philatélistes
historiques et de renom ont déjà traité le sujet (P. de Lizeray, R. Joany, J.
Storch, R. Francon…) mais de nos jours leurs articles sont difficiles à trouver
et sont complémentaires les uns les autres. J’ai donc choisi de reprendre ce
sujet en y synthétisant leurs apports respectifs et en y ajoutant le savoir et
le savoir-faire de « papy24 » dont le métier était d’imprimer des
timbres. Son aide me fut précieuse pour bien comprendre ce qui se passait
réellement sur le terrain et je l’en remercie. Je remercie aussi les intervenants du forum indépendant des collectionneurs pour leurs remarques. La diffusion sur ce blog rendra
cette information plus accessible à tous ceux qui n’ont pas une bibliothèque
philatélique digne de l’académie. Je vais donc vous décrire les différentes
étapes qui vont de la création du poinçon original jusqu’à la création de la
forme d’impression qui permet d’imprimer les timbres. Dans ce premier article, je
limiterai mon propos à la typographie à plat utilisée pour l’impression des
Semeuses.
1) Création du coin original ou du poinçon original
En ce qui concerne les Semeuses imprimées par typographie à plat, les
graveurs furent Louis Eugène MOUCHON (1843-1914) en 1903 puis Jean Baptiste
LHOMME (1885-1916) en 1907.
Le rôle du graveur est de créer un coin original qui est la gravure
d’une plaque de bronze (7 cm x 8 cm) de telle sorte que l'on ait en relief tout
ce qui sera blanc au final sur le timbre (c'est la taille d'épargne) (Fig.1).
Si le timbre doit être vendu sous plusieurs faciales, un espace libre sera
laissé intact (Fig.2) alors que si ce timbre doit être émis sous une seule
faciale sinon celle-ci est gravée sur le coin original.
Fig.1 : Graveur réalisant un poinçon
original
(illustration du musée de la
poste)
Concernant les Semeuses, l’Histoire
rapportée par des philatélistes historiques (Maury, De Vinck, Barrier, Storch,
Françon, De Lizeray …) veut que le graveur L.E. MOUCHON ait créé le coin
original des Semeuses lignées sans valeur. Ce coin est conservé au
musée de la poste. Les Semeuses furent déclinées sous plusieurs versions au
cours des années (avec ou sans téton, avec ou sans sol, maigres ou grasses). Il
ne subsisterait que 2 « vrais coins originaux » gravé sur bronze au
musée de la poste : celui de la Semeuse lignée sans valeur et celui de la Semeuse avec soleil levant (Fig.2).
Figure 2 : Coin original de la Semeuse avec soleil levant avec emplacement de la
faciale préservé
(Storch et Françon, Les timbres-poste
au type Semeuse camée de 1907, tome 1, p16)
L’Histoire « rapportée » par la littérature philatélique indique
que toutes les Semeuses n’ont eu qu’un seul coin original (celui de L.E.
Mouchon) qui fut copié sous la forme d’un poinçon secondaire (Cf paragraphe 2)
en cuivre pour y faire les modifications souhaitées (Fig.3).
Fig.3 : Photo du « poinçon de la Semeuse avec sol » avec
sa faciale unique
(Storch et Françon, Les timbres-poste
au type Semeuse camée de 1907, tome 1, p21)
Le coin original est la référence absolue concernant le dessin du timbre
car imprimé sur tous les timbres issus de ce coin. Il est parfois appelé
poinçon original mais le terme de poinçon est plus approprié pour les copies
ultérieures en cuivre de ce coin original qui lui est en bronze. Cette
confusion entre coin original (gravure sur bronze unique) et poinçon +/-
original (copie en cuivre) est source de nombreuses confusions.
2) Création des poinçons (secondaires) sans valeur
Dans le cas des Semeuses, plusieurs faciales seront utilisées. Il faut donc
réaliser des copies appelées poinçon
secondaire sans valeur ou poinçon
servant d’original comme le nomme R. JOANY dans « les outils de
fabrication des timbres postes » en 1971.
Dans un premier temps, il s’agit de créer une copie en plomb du coin
original. Pour cela, on place une plaque de plomb aux dimensions précises du
futur timbre et des perforations au-dessus du coin original. Le flan de plomb
est entouré d’une virole (cadre en acier) pour ne pas bouger latéralement puis
on dépose un contre poinçon sur lequel on va exercer une pression grâce à la
presse hydraulique s’il s’agit d’un coin comme modèle (ou d’une presse
monétaire à balancier s’il s’agit d’un poinçon secondaire). On obtient ainsi
une copie inversée appelée flan de plomb où les parties en creux (noir sur Fig.4) seront les futures parties encrées
et donc imprimées sur le papier. On répète cette opération plusieurs fois si on
prévoit de graver plusieurs faciales différentes.
Fig.4 : Copie en plomb de
l’original gravé sur bronze
Un matériau possède une certaine élasticité qui lui permet de ne pas se
déformer de façon irréversible lorsqu’il subit une pression. Au-delà de cette
limite élastique (Re), la déformation subie est définitive. Cette valeur se
mesure en MégaPascal (Mpa). Le poinçon est réalisé en bronze qui est un alliage
de cuivre et d’étain mais on peut aussi y ajouter d’autres composés (phosphore,
plomb, berylium, zinc, ...). Etant donné que nous ne connaissons pas le type de
bronze utilisé pour la gravure originale, je vais bâtir mon raisonnement sur
une valeur « moyenne » de la limite élastique du bronze qui est 120
MPa alors que celle du plomb est de 1.4 MPa et celle du cuivre de 40 MPa. Il
est donc aisé d’obtenir une excellente copie en plomb du poinçon original sans
l’abimer sous réserve de ne pas exercer une pression supérieure à 120 MPa.
Dans un deuxième temps, le flan de plomb doit être copié en cuivre. Pour
cela, on enduit le flan de plomb de cire sur toute les zones où l’on ne
souhaite pas avoir de dépôt de cuivre et l’on place ce flan de plomb dans un
bain de galvanoplastie (c’est une électrolyse) contenant du sulfate de cuivre
(CuSO4) ce qui va entrainer un dépôt compact d’environ deux
millimètres de cuivre sur toutes les zones conductrices et non protégées par la
cire (Fig. 5). Cette opération dure environ 72 heures.
Figure 5 : principe de la
galvanoplastie
Une fois le plomb séparé de sa
copie en cuivre (en abimant obligatoirement le plomb afin de préserver la copie
en cuivre qui servira pour la suite), on va donc obtenir une copie identique au
coin original mais en cuivre (Fig.6).
Figure 6 : Copie à
l’identique de l’original
mais en cuivre appelé poinçon
secondaire sans valeur
Cette copie sera ensuite rabotée au dos et fixée sur un bloc d’acier afin
de la rigidifier car l’épaisseur de cuivre est limitée. Elle est appelée poinçon
secondaire sans valeur. Ce poinçon peut aussi être retouché si l’on
souhaite créer une nouvelle version de ce timbre.
Pour les Semeuses avec sol, maigres et camées, il n’y aurait sans doute
jamais eu de coin original mais seulement des poinçons secondaires du coin de
la Semeuse lignée d’origine. Ces copies ont vraisemblablement été retouchées
(suppression des lignes ou du soleil, création d’un sol, élargissement des
gravures des lettres, creusement des contours des sacs et du bras …) et ont été
rebaptisés « poinçon originaux ». En effet, ils sont décrits comme
des plaques de cuivre épaisses de 2 mm fixées sur une plaque support en laiton
ou un bloc d’acier. Parmi ceux-ci, les « fameux » M1 de L.E. MOUCHON
et le L2 de J.B. LHOMME. Les traits des Semeuses lignées, avec sol, maigres et
camées sont identiques au niveau des traits de la robe ce qui confirme que tous
ces timbres ont le même poinçon original : celui de la Semeuse lignée de
1903. C’est aussi pour cela que la signature de L.E. MOUCHON est toujours
présente au bas de toutes les Semeuses, c’est le seul à avoir gravé le coin des
Semeuses car les autres ne firent que des retouches (parfois majeures) sur les
poinçons secondaires sans valeur.
3) Création du poinçon secondaire avec valeur
Cette copie en cuivre va alors être remise au graveur pour qu’il vérifie la
qualité de la copie et qu’il grave la faciale souhaitée (6 faciales différentes
en 1907). Il peut aussi le modifier plus en « profondeur » s’il le
souhaite (Cf ci-dessus avec les poinçons M1 et L2). Cette pièce de cuivre fixée
sur un bloc d’acier et gravée d’une faciale précise est appelée poinçon
secondaire avec valeur ou poinçon secondaire avec valeur servant
d’original (Fig.7 et 8).
Fig.7 : Poinçon (secondaire)
avec valeur servant d’original
Fig.8 : Photo du « poinçon de la Semeuse maigre 10 c » avec sa
faciale unique
(Storch et Françon, Les timbres-poste
au type Semeuse camée de 1907, tome 1, p27)
Théoriquement tous les timbres Semeuse camée avec cette faciale ont les
particularités graphiques de ce poinçon. On parle alors d’un type car il
correspond à un poinçon avec valeur bien précise, indépendamment de la couleur
d’impression par la suite (Semeuse 137 verte puis 158 orange ou Semeuse 141
orange puis 160 rouge puis 191 rose …). La définition du mot type en philatélie
sera traitée ultérieurement. La question est de savoir combien de poinçons avec
valeur ont été réellement créés pour un timbre précis (Semeuse camée, Semeuse lignée,
pasteur …) et une faciale précise (5c, 10c, 25c…). D’après Pierre de Lizeray
dans « les poinçons Semeuses du musée postal » (1955, Vol I,
p14) nombre de poinçons avec valeur ont été fondus une fois considérés comme
inutilisables.
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