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dimanche 6 octobre 2019

Du poinçon à l'impression typographique à plat de la semeuse camée (1/2)



Pour beaucoup de philatélistes, le process de création et de fabrication d’un timbre est quelque chose d’assez flou. De nombreux philatélistes historiques et de renom ont déjà traité le sujet (P. de Lizeray, R. Joany, J. Storch, R. Francon…) mais de nos jours leurs articles sont difficiles à trouver et sont complémentaires les uns les autres. J’ai donc choisi de reprendre ce sujet en y synthétisant leurs apports respectifs et en y ajoutant le savoir et le savoir-faire de « papy24 » dont le métier était d’imprimer des timbres. Son aide me fut précieuse pour bien comprendre ce qui se passait réellement sur le terrain et je l’en remercie. Je remercie aussi les intervenants du forum indépendant des collectionneurs pour leurs remarques. La diffusion sur ce blog rendra cette information plus accessible à tous ceux qui n’ont pas une bibliothèque philatélique digne de l’académie. Je vais donc vous décrire les différentes étapes qui vont de la création du poinçon original jusqu’à la création de la forme d’impression qui permet d’imprimer les timbres. Dans ce premier article, je limiterai mon propos à la typographie à plat utilisée pour l’impression des Semeuses.

1)    Création du coin original ou du poinçon original
En ce qui concerne les Semeuses imprimées par typographie à plat, les graveurs furent Louis Eugène MOUCHON (1843-1914) en 1903 puis Jean Baptiste LHOMME (1885-1916) en 1907.
Le rôle du graveur est de créer un coin original qui est la gravure d’une plaque de bronze (7 cm x 8 cm) de telle sorte que l'on ait en relief tout ce qui sera blanc au final sur le timbre (c'est la taille d'épargne) (Fig.1). Si le timbre doit être vendu sous plusieurs faciales, un espace libre sera laissé intact (Fig.2) alors que si ce timbre doit être émis sous une seule faciale sinon celle-ci est gravée sur le coin original.


Fig.1 : Graveur réalisant un poinçon original

(illustration du musée de la poste)

 Concernant les Semeuses, l’Histoire rapportée par des philatélistes historiques (Maury, De Vinck, Barrier, Storch, Françon, De Lizeray …) veut que le graveur L.E. MOUCHON ait créé le coin original des Semeuses lignées sans valeur. Ce coin est conservé au musée de la poste. Les Semeuses furent déclinées sous plusieurs versions au cours des années (avec ou sans téton, avec ou sans sol, maigres ou grasses). Il ne subsisterait que 2 « vrais coins originaux » gravé sur bronze au musée de la poste : celui de la Semeuse lignée sans valeur et celui de la Semeuse avec soleil levant (Fig.2).



Figure 2 : Coin original de la Semeuse avec soleil levant avec emplacement de la faciale préservé
(Storch et Françon, Les timbres-poste au type Semeuse camée de 1907, tome 1, p16)


L’Histoire « rapportée » par la littérature philatélique indique que toutes les Semeuses n’ont eu qu’un seul coin original (celui de L.E. Mouchon) qui fut copié sous la forme d’un poinçon secondaire (Cf paragraphe 2) en cuivre pour y faire les modifications souhaitées (Fig.3).


Fig.3 : Photo du « poinçon de la Semeuse avec sol » avec sa faciale unique
(Storch et Françon, Les timbres-poste au type Semeuse camée de 1907, tome 1, p21)

Le coin original est la référence absolue concernant le dessin du timbre car imprimé sur tous les timbres issus de ce coin. Il est parfois appelé poinçon original mais le terme de poinçon est plus approprié pour les copies ultérieures en cuivre de ce coin original qui lui est en bronze. Cette confusion entre coin original (gravure sur bronze unique) et poinçon +/- original (copie en cuivre) est source de nombreuses confusions.

2)    Création des poinçons (secondaires) sans valeur
Dans le cas des Semeuses, plusieurs faciales seront utilisées. Il faut donc réaliser des copies appelées poinçon secondaire sans valeur ou poinçon servant d’original comme le nomme R. JOANY dans « les outils de fabrication des timbres postes » en 1971.
Dans un premier temps, il s’agit de créer une copie en plomb du coin original. Pour cela, on place une plaque de plomb aux dimensions précises du futur timbre et des perforations au-dessus du coin original. Le flan de plomb est entouré d’une virole (cadre en acier) pour ne pas bouger latéralement puis on dépose un contre poinçon sur lequel on va exercer une pression grâce à la presse hydraulique s’il s’agit d’un coin comme modèle (ou d’une presse monétaire à balancier s’il s’agit d’un poinçon secondaire). On obtient ainsi une copie inversée appelée flan de plomb où les parties en creux (noir sur Fig.4) seront les futures parties encrées et donc imprimées sur le papier. On répète cette opération plusieurs fois si on prévoit de graver plusieurs faciales différentes.



Fig.4 : Copie en plomb de l’original gravé sur bronze

Un matériau possède une certaine élasticité qui lui permet de ne pas se déformer de façon irréversible lorsqu’il subit une pression. Au-delà de cette limite élastique (Re), la déformation subie est définitive. Cette valeur se mesure en MégaPascal (Mpa). Le poinçon est réalisé en bronze qui est un alliage de cuivre et d’étain mais on peut aussi y ajouter d’autres composés (phosphore, plomb, berylium, zinc, ...). Etant donné que nous ne connaissons pas le type de bronze utilisé pour la gravure originale, je vais bâtir mon raisonnement sur une valeur « moyenne » de la limite élastique du bronze qui est 120 MPa alors que celle du plomb est de 1.4 MPa et celle du cuivre de 40 MPa. Il est donc aisé d’obtenir une excellente copie en plomb du poinçon original sans l’abimer sous réserve de ne pas exercer une pression supérieure à 120 MPa.

Dans un deuxième temps, le flan de plomb doit être copié en cuivre. Pour cela, on enduit le flan de plomb de cire sur toute les zones où l’on ne souhaite pas avoir de dépôt de cuivre et l’on place ce flan de plomb dans un bain de galvanoplastie (c’est une électrolyse) contenant du sulfate de cuivre (CuSO4) ce qui va entrainer un dépôt compact d’environ deux millimètres de cuivre sur toutes les zones conductrices et non protégées par la cire (Fig. 5). Cette opération dure environ 72 heures.


Figure 5 : principe de la galvanoplastie

Une fois le plomb séparé de sa copie en cuivre (en abimant obligatoirement le plomb afin de préserver la copie en cuivre qui servira pour la suite), on va donc obtenir une copie identique au coin original mais en cuivre (Fig.6).


Figure 6 : Copie à l’identique de l’original

mais en cuivre appelé poinçon secondaire sans valeur

Cette copie sera ensuite rabotée au dos et fixée sur un bloc d’acier afin de la rigidifier car l’épaisseur de cuivre est limitée. Elle est appelée poinçon secondaire sans valeur. Ce poinçon peut aussi être retouché si l’on souhaite créer une nouvelle version de ce timbre.
Pour les Semeuses avec sol, maigres et camées, il n’y aurait sans doute jamais eu de coin original mais seulement des poinçons secondaires du coin de la Semeuse lignée d’origine. Ces copies ont vraisemblablement été retouchées (suppression des lignes ou du soleil, création d’un sol, élargissement des gravures des lettres, creusement des contours des sacs et du bras …) et ont été rebaptisés « poinçon originaux ». En effet, ils sont décrits comme des plaques de cuivre épaisses de 2 mm fixées sur une plaque support en laiton ou un bloc d’acier. Parmi ceux-ci, les « fameux » M1 de L.E. MOUCHON et le L2 de J.B. LHOMME. Les traits des Semeuses lignées, avec sol, maigres et camées sont identiques au niveau des traits de la robe ce qui confirme que tous ces timbres ont le même poinçon original : celui de la Semeuse lignée de 1903. C’est aussi pour cela que la signature de L.E. MOUCHON est toujours présente au bas de toutes les Semeuses, c’est le seul à avoir gravé le coin des Semeuses car les autres ne firent que des retouches (parfois majeures) sur les poinçons secondaires sans valeur.

3)    Création du poinçon secondaire avec valeur
Cette copie en cuivre va alors être remise au graveur pour qu’il vérifie la qualité de la copie et qu’il grave la faciale souhaitée (6 faciales différentes en 1907). Il peut aussi le modifier plus en « profondeur » s’il le souhaite (Cf ci-dessus avec les poinçons M1 et L2). Cette pièce de cuivre fixée sur un bloc d’acier et gravée d’une faciale précise est appelée poinçon secondaire avec valeur ou poinçon secondaire avec valeur servant d’original (Fig.7 et 8).



Fig.7 : Poinçon (secondaire) avec valeur servant d’original


Fig.8 : Photo du « poinçon de la Semeuse maigre 10 c » avec sa faciale unique
(Storch et Françon, Les timbres-poste au type Semeuse camée de 1907, tome 1, p27)

Théoriquement tous les timbres Semeuse camée avec cette faciale ont les particularités graphiques de ce poinçon. On parle alors d’un type car il correspond à un poinçon avec valeur bien précise, indépendamment de la couleur d’impression par la suite (Semeuse 137 verte puis 158 orange ou Semeuse 141 orange puis 160 rouge puis 191 rose …). La définition du mot type en philatélie sera traitée ultérieurement. La question est de savoir combien de poinçons avec valeur ont été réellement créés pour un timbre précis (Semeuse camée, Semeuse lignée, pasteur …) et une faciale précise (5c, 10c, 25c…). D’après Pierre de Lizeray dans « les poinçons Semeuses du musée postal » (1955, Vol I, p14) nombre de poinçons avec valeur ont été fondus une fois considérés comme inutilisables.

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