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mercredi 19 juin 2019

Les ponts ....



         Ayant retrouvé un peu de temps, j’ai entrepris de lever le nez de ma monographie sur la Semeuse 5c verte pour ranger un petit peu les autres Semeuses que j’ai accumulées pendant des années sans vraiment les classer. La plus étudiée des Semeuses est la «fameuse» Semeuse camée 25c bleue de par sa durée de vie, sa diffusion à travers le monde, la multitude de supports postaux sur lesquels on la retrouve et, je l'avoue, par son esthétique surtout pour celles imprimées les premières années en bleu foncé. En reprenant la bibliographie numérique et papier traitant de ce sujet et en em…bêtant les Semeusophiles du forum des collectionneurs indépendants, je suis tombé sur le phénomène des variations de taille des ponts sur les feuilles imprimées par typographie à plat. Avant d’en parler plus en détail, revenons (rapidement) sur la fabrication des timbres.



1)   Le principe de la typographie à plat



           Le principe de la typographie est connu au moins depuis le VIII siècle à partir d’objets sculptés en bois (xylographie). Il consiste à avoir un objet dur sculpté sur lequel on dépose de l’encre sur les reliefs avant d’appliquer cet objet encré sur un support (papier, tissu, peau…). Si l’objet sculpté est appliqué manuellement sur le support, on parlera de «coup de tampon» mais si l’objet sculpté reste immobile pendant que les supports sont posés dessus les uns après les autres, on parle d’impression typographique.

En philatélie, quand on parle d’impression typographique à plat, cela signifie que le support où sont sculptés les timbres en relief que l’on appelle «la forme» est fixée sur le «marbre» de la presse. Après encrage de la forme par un rouleau encreur, une feuille de papier est alors déposée dessus et une pression est exercée sur celle-ci pour imprimer les timbres à partir des zones en relief encrées. Cette pression peut être exercée manuellement par une platine tel le pressoir à pomme ou par un cylindre qui «roule» sur la feuille pour appliquer la pression adéquate. Dans tous les cas, un nouvel encrage est nécessaire entre chaque feuille. En ce qui concerne les Semeuses imprimées «à plat», c’est cette technique des presses à cylindre qui fut utilisée (voir blog de papy24 pour de plus amples informations).



2)   La forme



           Pour les Semeuses, l’impression des feuilles de vente ou de roulettes de 300 timbres se fait à partir d’un poinçon unique, gravé, qui est copié en 50 exemplaires. Ces 50 exemplaires vont être assemblés en un galvano type (GT) qui est composé de deux blocs de 25 copies. Ces deux blocs sont espacés horizontalement entre eux de la largeur approximative d’un demi-timbre (Fig.1). Cet espace entre les deux timbres imprimés est appelé «pont» et c’est lui qui va nous intéresser aujourd’hui.


Fig.1 : schéma d'un galvanotype


           Ce GT est l’élément de base. Il est copié, avec plus ou moins de perfection, en 6 exemplaires minimum chacun appelé galvano de service (GS). Ces 6 GS seront assemblés entre eux pour donner une forme de 300 timbres appelée planche d'impression. Suivant si l’on veut obtenir des feuilles de vente ou de roulette, l’agencement diffère un peu (Fig.2). 

 

Fig.2 : Disposition des Galvanos de Service (GS) sur la forme pour imprimer des feuilles de vente (gauche) ou des feuilles de roulette (droite)




           Une fois l’impression réalisée par typographie à plat, chaque feuille sera coupée en deux pour former des feuilles de ventes ou de roulette (Fig.3).




Fig.3 : feuilles de vente (gauche) et de roulette (droite) de 150 timbres après découpe de la feuille imprimée initialement

           Au sein du GS, on pouvait glisser un numéro dans le pont de la deuxième rangée de timbre entre les deux blocs de 25 timbres pour identifier l’année de fabrication. La présence simultanée d’un timbre suivi d’un pont avec numéro et d’un autre timbre est appelé millésime.



3)   Les millésimes



           Le chiffre inscrit sur le millésime correspond à l’année de fabrication mais il s’agit que d’un chiffre et pas d’un nombre. En conséquence, il est parfois difficile de trancher entre 1911 et 1921 (millésime 1 dans les deux cas). L’étude des millésimes est fort intéressante, en plus de l’aspect esthétique pour les blocs de 4 haut de feuille (Fig.4), car cela permet de relier un timbre donné à :

               - un type de papier sur lequel il est imprimé

               - une année de fabrication

               - une technique d’impression (à plat obligatoirement)

               - une couleur

               - une année d’utilisation s’ils sont oblitérés seuls ou sur courrier postal.


La combinaison de ces différents éléments est parfois indispensable pour savoir si un timbre est de 1910 ou 1920, 1911 ou 1921 …




Fig.4 : Millésime en bloc de 4 avec haut de feuille associé


4)   Les ponts



           Comme expliqué plus haut, le pont est la distance entre les deux zones imprimées de part et d’autre du chiffre du millésime. Elle mesure en général entre 11 et 13 millimètres (Fig.5).





Fig.5 : Millésime en bloc de 4 timbres avec le haut de la feuille. La flèche rouge indique la distance à mesurer pour avoir la taille du pont.


           Focalisé sur ma monographie de la Semeuse 5c verte, je n’avais jamais observé de variation majeure dans la taille de ces ponts. Toutefois, en classant mes autres Semeuses abandonnées à leur triste sort, les collègues Semeusophiles m’ont alerté sur des variations connues pour la Semeuse camée 25c bleue. En reprenant la bibliographie, je trouvais un article de Jean STORCH et Robert FRANCON paru en 1974 dans le numéro 22 du « collectionneur philatéliste et marcophile » édité par le « cercle lyonnais d’études philatéliques et marcophiles » (CLEPM) dans lequel ils avaient repéré l’existence de ponts étroits de 12 mm et de ponts larges de 13 mm mais aussi des ponts de 11 mm. A cette époque les mesures se faisaient avec un double décimètre et la précision était de l’ordre du millimètre. J’ai donc décidé de reprendre cette étude en quémandant aux Semeusophiles des scans d’un maximum de millésimes en leur possession. Merci à José, Thierry, Frédéric ou Jean Luc pour leurs scans



5)   Les outils et la méthode de l’étude



           Au XXIème siècle, l’outil informatique facilite énormément le travail et accroit la précision des mesures. J’ai donc utilisé un logiciel de traitement d’image pour mesurer avec précision la largeur de ces ponts. Pour cela il suffit d’avoir un scan d’un millésime et de mesurer avec la règle du logiciel la taille du pont au dixième de millimètre près si l’on veut en jouant sur le zoom (Fig.6).


Fig.6 : Mesure de la largeur d'un pont à l'aide de la règle d'un logiciel de retouche d'image en fonction des grossissements utilisés.




           Grace à cet outil on obtient des mesures précises. Toutefois, la précision au dixième de millimètre est inutile avec un support papier d’une planéité parfois imparfaite (lors de l’impression ou du scan) donc pour chaque mesure je m’accorde une erreur de +/- 0.2 mm. Une fois toutes les mesures prises, je les regroupe avec des écarts extrêmes de 0.40 mm. Par exemple tous les ponts mesurant entre 11.80 mm et 12.20 mm sont regroupés dans les ponts de 12.00 mm. Ceux entre 12.40 mm et 12.80 sont regroupés dans les ponts de 12.60 mm et ainsi de suite.



6)   La Semeuse 137



           En toute subjectivité, j’ai commencé par regarder les ponts pour la Semeuse camée 5c verte 😉. En même temps, elle a été la première Semeuse camée émise. Sur un échantillon assez significatif de 400 millésimes mesurés, tous rentrent dans la catégorie des ponts de 12.30 mm (12.10 à 12.50). Il est intéressant de noter que suivant les années d’impression, les collectionneurs en ont des quantités qui varie d’un facteur 1 à 10 (5 pour 1921 et 51 pour 1919). En moyenne on a 28 millésimes par année mais cette moyenne est surtout dépassée entre 1914 et 1919 suggérant que les feuilles se sont moins vendues pendant cette période et donc ont été plus faciles à trouver après-guerre. L’apparition du papier GC et ses variantes de teinte a aussi jouer un rôle chez les philatélistes. 



La Semeuse 137 a donc toujours été imprimée avec des ponts
de 12.30 +/- 0,2 mm en moyenne. 



7)   La Semeuse 138



         C'est cette Semeuse 10c rouge qui m'a posé le plus de problèmes dans l'analyse des 195 millésimes que j'ai pu mesurer (surcharges FM inclues). En effet, les mesures varient de 11.60 mm à 13.10 mm. J'ai donc réalisé un tableau pour essayer de les regrouper avant le critère du +/- 0,2 mm (Cf tableau 1).


Tableau 1 : répartition des mesures des ponts de la semeuse 138



           On constate qu'il n'y a pas de ponts de 12.10 mm et 12.70 mm ce qui indique des jonctions entre 2 largeurs de ponts. Afin de tenir compte de tous les millésimes mesurés et de la règle des +/- 0.2 mm, on en déduit qu'il y a 3 largeurs de ponts à savoir :



                     - les petits ponts de 11,80 mm (11,60 à 12,00) : 24.10 %



                     - les ponts normaux de 12,40 mm (12,20 à 12,60) : 73.30 %



                     - les grands ponts de 13,00 mm (12,800 à 13,20) : 2.6 %





8)   La Semeuse 139



           L'analyse des millésimes de cette Semeuse 20c brune (40 millésimes mesurés) montre qu'il existe un seul type de pont qui mesure 12.30 mm +/- 0.2 mm. On se retrouve dans la situation de la Semeuse 137 où les ponts ne varient pas au cours du temps.





9)   La Semeuse 140



           C’est sur cette Semeuse camée 25c bleue que Storch et Francon ont trouvé des écarts de tailles dans les ponts. Ils avaient identifié des ponts étroits de 12 mm (1907 à 1910 puis 1915 à 1923), des ponts larges de 13 mm (1911 à 1914) et des ponts de 11 mm (type IIIA de 1923 et 1924 et annulés de 1923 au type IA).



Pour cette étude sur la semeuse 140, j'ai en moyenne 11 millésimes par année avec des écarts d'un facteur 1 à 9 (3 en 1917  contre 27 en 1920). Je n'ai toutefois analysé aucun "annulé" et les années 1919 à 1923 y sont sur-représentées (Tableau 2).



Tableau 2 : répartition des mesures des ponts de la semeuse 140


           Sur les 209 millésimes étudiés et ponts mesurés, je retrouve trois largeurs de ponts mais avec des valeurs un peu différentes à savoir 11.20, 12.00 et 12.60 mm toujours avec une incertitude de +/- 0.2 mm. 



- Les petits ponts (ou ponts étroits) à 11.20 mm correspondent au type IIIA de 1923 et 1924 (pas de millésime « annulé » de 1923 mesuré). Ils représentent 10,50 % des millésimes mesurés. Rien de nouveau par rapport aux travaux de nos prédécesseurs.



- Les ponts normaux à 12.00 mm se retrouvent toutes les années sur les types IA sauf de 1911 à 1914 inclus et représentent 77.50 % des millésimes mesurés. Il faut noter que pour cette année-là je n’ai que 6 millésimes. Cette faible représentativité de 1913 (tout comme 1909) laisse penser que l’échantillonnage est peut-être insuffisant



- Les ponts larges de 12.60 mm (13.00 mm chez Storch et Francon) ne se retrouvent que dans les années 1911 à 1914 et représentent 12.00 % des millésimes mesurés. Ce dernier point est fort intéressant pour différencier les millésimes de 1911 et 1921, 1912 et 1922, 1913 et 1923 souvent sources d’interrogations. Pour les millésimes 0, la couleur et le type de papier restent les seuls critères permettant (parfois) de les différencier.



10)   La Semeuse 141


            L'analyse des millésimes de cette Semeuse 30c orange (28 millésimes mesurés) montre qu'il existe un seul type de pont qui mesure 12.20 mm +/- 0.2 mm. On se retrouve dans la situation des Semeuses 137 et 139 où les ponts ne varient pas au cours du temps.



11) La Semeuse 142



           L'analyse des millésimes de cette Semeuse 35c violette (33 millésimes mesurés) montre qu'il existe un seul type de pont qui mesure 12.20 mm +/- 0.2 mm. On se retrouve dans la situation des Semeuses 137, 139 et 141 où les ponts ne varient pas au cours du temps.




12) Pourquoi ?



           On constate donc que les ponts des Semeuses Camées 137, 139, 141 et 142 ne varient tout au long de leur 20 années de production avec une valeur de 12.20 à 12.30 mm alors que ceux des Semeuse camées 138 et 140 varient. Une fois ces observations faites, il s’agit de comprendre pourquoi ou comment ces différences de largeur de pont sont apparues ? La question subsidiaire étant pourquoi certaines varient et pas d'autres !



           La première hypothèse qui vient à l'esprit c'est l'élasticité du papier en fonction du degré hygrométrique environnemental et des pressions qu'il subit. Ce phénomène est connu en imprimerie et de nos jours on peut acheter des mesureurs d'humidité pour le papier. On peut imaginer que l'impression des planches de timbre a lieu avec un niveau hygrométrique qui favorise son étirement et après séchage sa taille se réduit. Sachant que les feuilles de timbres sont imprimées puis gommées puis plus ou moins séchées, cela pourrait aboutir à des modifications des ponts au final. Cette hypothèse fort crédible est toutefois contredite par le fait que les ponts des Semeuses 137, 139, 141 et 142 ne varient pas. L'explication est donc ailleurs !


          Si le support sur lequel se réalise l'impression ne varie pas suffisamment pour expliquer ces variations de ponts, il faut donc se tourner vers l'autre partenaire à savoir la planche d'impression. Elle est constituée de 6 galvanos de service solidement reliés entre eux et il n'y a pas une chaleur suffisante pour que le phénomène de dilatation soit détectable. En conséquence, il ne peut s'agir que de modifications humaines apportées sur la planche d'impression. Théoriquement tous les galvanos de service sont identiques puisque copiés à partir d'un galvano type de référence. De ce fait, les ponts doivent tous être identiques puisqu'ils sont partie intégrante du galvano type. Ceci explique que les millésimes des Semeuses 140 au type IIIA aient un pont plus petit que celles au type IA car elles sont issues d'un Galvano Type différent. Toutefois cela n'est pas le cas des Semeuses 138 et des 140 au type IA.

Les écarts envisageables lors de la formation de la planche d'impression sont ceux entre les différents galvanos de service :
        - espace intergalvano horizontal où l'on voit des traits horizontaux imprimés (Cf Fig.3)

        - espace vertical qui permet d'obtenir deux feuilles de vente après découpe de la feuille de 300 imprimée initialement

En dehors  de ces espaces là, il ne devrait pas y avoir, en théorie, de variation de taille sur les différentes feuilles de ventes et pourtant c'est le cas !


            C'est papy24 qui m'a donné une explication fort probable à savoir une réparation des galvanos de service. Le papier et les GS ne variant pas assez pour des raisons "environnementales" pour impacter sur la taille des ponts, seule une réparation partielle d'un GS peut en être à l'origine de ces écarts. En effet, imaginons qu'un objet lourd tombe sur un GS et dégrade les reliefs de plusieurs gravures. La planche d'impression n'est plus utilisable en l'état. Il faut donc changer soit l'intégralité du GS auquel cas les ponts ne varieront pas de taille soit la moitié d'un GS par découpage d'un bloc de 25 timbres au niveau du pont et on le remplace par une autre en bon état. Dans ce dernier cas, l'ajustage entre les deux moitiés de GS peut varier un peu de l'ordre du millimètre ou du demi millimètre. Cela expliquerait parfaitement nos ponts de 12.00 mm ou 12.60 mm pour la Semeuse 140. Cela est tout aussi vrai pour la Semeuse 138.

           Cette dernière hypothèse retenue, on se demande pourquoi ces problèmes de "casse" n'ont eu lieu que sur les Semeuses 138 et 140 et de 1911 à 1914? 

           La première hypothèse, un peu provocatrice, est de supposer que les imprimeurs de la 138 et de la 140 étaient des brutes épaisses maladroites alors que ce n'était pas le cas pour les autres 😜. 

           Plus sérieusement, on peut supposer que le tirage de la 138 et la 140 étaient très important et donc une usure prématurée d'une partie des GS s'opérait. Cela pourrait convenir en comparaison avec les Semeuses 139, 141 et 142 qui sont vraisemblablement imprimées en moins grande quantité mais cela ne colle pas avec la 137 qui elle aussi était très courante.... le mystère reste donc entier ... ce qui laisse la place à d'autres pour répondre à cette dernière interrogation.

           Dans le cadre de cette "étude" qui porte sur 905 millésimes dont 804 sur les seules 137, 138 et 140, je tiens à remercier tous ceux qui m'ont fait parvenir des scans de leurs millésimes (José, Frédéric, Jean Luc, Christophe, Thierry ...) et tous ceux qui m'en feront parvenir à l'avenir car l'échantillonnage pour les 139, 141 et 142 est encore faible et mérite d'être étoffé donc à vos scans 😉. J'actualiserais cet article quand j'aurai reçu d'autres scans confirmant ou infirmant ces observations.

           En attendant qui va trouver un bloc de la Semeuse 138 ou 140 contenant des ponts de tailles différentes ? A priori c'est possible pour la 138 en 1911 mais pas évident pour la 140 qui semble ne pas aimer la mixité des ponts lors d'une même année ... 


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