De 1916 à 1920, l’impression des timbres s’est faite
majoritairement sur du papier de mauvaise qualité en raison des restrictions
économiques liées à la guerre. Ce papier dit de « Grande
Consommation » était produit à partir de bois brut avec son écorce d’où
une coloration beige à chamois très foncé suivant la teneur en tanins. Les
feuilles de vente de 150 timbres imprimées sur ce type de papier portaient les
lettres « GC » en haut et en bas de chaque feuille afin que les
postiers en prennent soin car il se déchirait (trop) facilement (Fig 1).
Fig
1 : Schéma d’une forme d’impression composée de 6 galvanos de service.
Après l’impression, les feuilles de 300 timbres sont coupées en 2 (trait rouge
vertical) pour donner des feuilles de vente de 150 timbres. Chaque feuille de
vente est l’image de la moitié de la forme d’impression (demi forme gauche et
droite). Les lettres GC sont positionnées au-dessus du timbre 5 et en dessous
du timbre 145 de chaque feuille de vente.
L’impression des lettres « GC » se faisait de la
même couleur que le timbre. On peut donc en déduire qu’elles étaient fixées sur
formes d’impression de 300 timbres (4 couple de lettres par forme). Ces lettres
étaient positionnées en dehors des galvanos de service sur la forme
d’impression (ou cliché). On peut donc penser que ces lettres étaient
soit :
1) Gravées sur une fine plaque de laiton
ou de cuivre puis le tout était fixé sur la forme d’impression
2) La forme était perforée sur son
épaisseur et des caractères d’imprimerie était glissés dedans à l’image des
millésimes puis fixés à la forme.
La première hypothèse sous-entend que la surépaisseur due à
la plaque de cuivre avec relief des lettres aurait généré des traces autour des
lettres GC lors d’encrage trop fluides à l’image des têtes de vis de fixation
des galvanos (Fig.2). Cela a été plus ou moins observé une fois sur un bas de
feuille ayant subi un gros défaut d’impression (Fig.3). Il semble quasi
impossible de trancher objectivement entre les 2 hypothèses même si ma
préférence va sur la perforation de la forme et l’insertion de caractères
d’imprimerie. Cette technique était déjà utilisée en routine pour les
millésimes et les indications des jours d’impression, des numéros de presse ou
des indicatifs de chef de machine en bas de feuille. Elle reste donc pour moi
la plus probable.
Fig.2 :
empreinte encrée de la vis de fixation présente sur la forme d’impression
Image empruntée
sur le site de « semeuse13 »
Fig. 3 :
Bas de feuille avec manchette GC où l’on observe un gros défaut d’impression en
bas de feuille et une trace verticale d’encre qui pourrait suggérer la présence
du bord vertical d’une plaque (Image « semeuse13 »)
Quelle que soit la technique utilisée, le positionnement de
ces lettres ne peut pas être parfaitement identique d’une forme à l’autre à
l’image des différences de positionnement et d’inclinaisons observées avec les
millésimes dans une feuille de vente (ou de roulette). De plus sur une même
forme, les 2 emplacements du haut (et du bas) ne doivent pas être positionnés
exactement au même endroit. Sur ce dernier point, on ne peut qu’émettre
l’hypothèse puisque toutes les feuilles de 300 timbres étaient recoupées en 2
feuilles de vente de 150 et il est donc impossible de prouver quoi que ce soit
de nos jours. En revanche, pour les feuilles de ventes de 150 timbres, il
existe encore de nombreux millésimes haut de feuille avec les « manchettes
GC » (Fig.4). En conséquence, on peut mesurer le positionnement de ces
lettres par rapport à un point fixe du timbre situé en dessous et en déduire le
nombre minimal de forme d’impression existant à cette époque pour la Semeuse 5
centimes verte.
Fig.4 :
Millésime 7 de la Semeuse 5 centimes verte avec manchette GC en haut de feuille
I.
Le matériel et la méthode
1)
Le matériel
Pour réaliser cette
étude, je suis parti de 160 scans de millésimes de la Semeuse 5 centimes verte
avec manchette GC au-dessus fournis par différents « semeusophiles »
que je remercie pour leur collaboration (semeuse13, jacques G., josé B.,
nicolas C., thierry B….), ceux provenant de ma propre collection et les images
trouvées sur les sites de vente. Les images idéales contiennent la manchette GC
mais aussi le millésime afin de dater l’année d’impression et donc de
déterminer la période d’utilisation des demi-forme d’impression identifiées.
Toutefois, les manchettes GC sans millésimes ont leur utilité pour confirmer ou
infirmer certaines hypothèses de travail. Concernant les inscriptions GC en bas
de feuille, je n’ai pas réussi à obtenir, encore, un nombre suffisant de scans
pour les étudier de façon fiable. Enfin les images avec une définition trop faible ont été écartées pour éviter les mesures trop approximatives.
Ces 159 millésimes se décomposent comme indiqué
ci-après :
-
28
pour 1916,
- 61
pour 1917,
-
33
pour 1918,
-
35
pour 1919,
-
3
pour 1920.
Avec
ces chiffres, on retrouve bien la rareté des GC de 1920 connue de tous
suggérant que l’échantillonnage est représentatif de la réalité.
2)
La méthode
L’analyse est basée sur des mesures réalisées à partir de 2
points fixes du 5ème timbre des feuilles de vente. Il s’agit du « I »
de république et du filet supérieur du timbre. A partir de là, le
positionnement horizontal (C et G) et vertical des lettres (H) a été mesuré
ainsi que la largeur globale de cette inscription (L), la largeur de chaque
lettre et l’espace entre les lettres (E) (Fig.5).
Fig.5 :
représentation schématique des mesures effectuées sur les manchettes GC
Chaque mesure a été réalisée 3 fois pour minimiser les
erreurs. Pour le cas où les scans étaient de tailles variables, un coefficient
a été appliquée en fonction des mesures de largeur (toujours au niveau de
république française) et de longueur du timbre (toujours sous le
« i » de république) sur le scan pour retrouver la valeur standard
mesurée sur une épreuve d’artiste et sur une impression sur bristol à savoir
18,4 mm x 22,5 mm d’un filet à l’autre. L’outil de mesure utilisé permet
d’avoir une précision de l’ordre de 0.1 mm. Pour vérifier ce niveau de
précision, la largeur des lettres G et C et l’espace entre ces lettres (E) a
été mesuré et déduit de la mesure globale entre le début du G et la fin du C
(L). Les résultats montrent une valeur moyenne de -0.02 mm et un écart type de
0.07 mm. J’ai donc considéré que l’erreur de mesure était de 0.2 mm pour avoir
une marge de sécurité.
I. Les résultats bruts cumulés de 1916 à 1920
1) L’absence de variabilité des
lettres C et G.
Sur l’ensemble des mesures réalisées, l’écart type des
largeurs des lettres C et G est respectivement de 0.14 mm et 0.20 mm donc non
significatif. Concernant la hauteur des lettres C et G on a respectivement 0.29
mm et 0.33 mm d’écart type ce qui pourrait indiquer une variabilité réelle mais
en fait 29 % des manchettes analysées (47/160) avaient les lettres usées sur la
partie haute d’où l’apparition de cette variabilité.
2) La longueur de la
manchette GC
L’écart type sur la longueur des
manchettes GC est de 0.51 mm avec des extrêmes qui vont de 18.80 mm à 21.93 mm.
Il existe donc une réelle variabilité qui n’est pas corrélée à la variabilité
de la largeur des lettres (Cf. ci-dessus) mais à celle de l’espace entre les
lettres C et G (écart type de 0.44 mm et 2.01 mm / 3.95 mm pour valeurs
minimales et maximales). Ce dernier point penche en faveur de 2 caractères
d’imprimerie placés côte à côte avec un resserrement plus ou moins important
entre eux. Ce critère peut donc être un candidat secondaire pour différencier
les formes d’impressions utilisés.
3)
La position de la manchette GC par rapport au filet horizontal du timbre
La distance qui sépare le bord
supérieur du filet du timbre de la base des lettres C et G présente un écart
type de 1.20 mm avec des extrêmes à 8.02 mm et 13.90 mm. Ce critère est donc
majeur mais il faut noter que seules 8 manchettes sur 160 ont une hauteur
comprise entre 8.02 mm et 10.07 mm uniquement en 1919 et 1920. Si on retire ces
8 valeurs l’écart type tombe à 0.62 mm donc à un niveau proche de celui de la
longueur des manchettes GC. Il est donc significatif mais guère plus que le
précédent sauf pour les formes de 1919 et 1920.
4)
La position de la manchette GC par rapport au « i » de république
La distance qui sépare l’axe du
« i » de république avec le début de la lettre G et de la lettre C
est la valeur qui fluctue le plus et va donc être la plus discriminante. En
effet, le début de la lettre G est positionné de 4.64 mm avant et à 3.04 mm
après cet axe avec un écart type de 1.51 mm. Il en est de même pour la lettre C
(entre 6.46 mm et 14.30 mm et un écart type de 1.41 mm). Que ce soit le C ou le
G, son déplacement latéral varie de 7.68 à 7.84 mm par rapport à cet axe du
« i ».
Les clés de discriminations sont
donc par ordre d’importance :
1) la position des lettres G et C par
rapport à cet axe,
2) la position de la manchette GC par
rapport au filet supérieur du timbre,
3) la longueur de la manchette GC.
II.
L’exploitation année par année
En utilisant les critères indiqués ci-dessus, il a été
possible de classé tous les millésimes analysés en groupes plus ou moins
importants.
1)
L’année 1916
C’est
cette année-là qu’ont été apposées les premières lettres G et C sur les formes
d’impression. Les résultats des mesures sont donnés dans le tableau 1 ci-dessous.
Tableau
1 : Mesures obtenues sur 28 millésimes de 1916 avec manchettes GC. En
fonction du positionnement des lettres GC, ils ont été regroupés en 4 groupes
homogènes.
La position des lettres G et C par
rapport à l’axe du « i » de République permet de distinguer 4 groupes
distincts. Il existait donc au moins 4
demi formes d’impression en 1916 que l’on peut « baptiser »
suivant le positionnement moyen des lettres G et C :
-
Demi
forme grise : -3.23 / 8.91
-
Demi
forme bleu : -2.46 / 9.52
-
Demi
forme beige : -1.57 / 10.43
-
Demi
forme verte : -0.69 / 11.15
On peut en déduire qu’en 1916, il
existait deux formes d’impression pour imprimer la Semeuse 5 centimes verte.
Il est intéressant de noter que sur les 28 millésimes
analysés, seuls 4 avaient des lettres GC plus ou moins usées sur la partie
haute (Fig. 6).
Fig.6 :
Les lettres GC sont en partie usées sur leur partie haute sur 4 des 28
millésimes analysés.
La
manchette GC du haut est la référence intacte.
On en retrouve 2 sur la demi forme grise et 2 sur la demi
forme bleue suggérant que ce sont les plus utilisées en 1916 et peut être la
paire qui constituait une forme d’impression. On verra dans le prochain article que l’année suivante
cette proportion est beaucoup plus importante. On pourra aussi observer le devenir de chaque demi forme au cours des années suivantes ... affaire à suivre ….
Dans l’immédiat je tiens à remercier tous ceux qui m'ont fait parvenir des scans indispensables pour cette étude notamment "semeuse13", "jojo" et plusieurs membres du Cercle des Amis de Marianne.